Edgard Garcia, directeur de Zebrock, nommé chevalier de l’Ordre national du mérite

Elevation Edgar Garcia © Marylène Eytier

Vendredi 1er juillet 2022, Maroquinerie, Edgard Garcia, directeur de Zebrock,  reçoit la médaille de l’Ordre national du mérite des mains de Gérard Davoust, Président d’honneur de la SACEM, PDG des éditions Raoul Breton, officier de la Légion d’honneur. Il est salué pour sa belle carrière et son engagement, notamment à Zebrock. Retour sur son discours aussi fort qu’émouvant.

 

« Merci infiniment cher Gérard, d’avoir accepté de me remettre cette décoration. C’est un grand honneur et aussi un grand plaisir. Je me réjouis de te compter parmi mes amis. J’adore ces moments intenses que nous passons à discuter de musique, d’histoire et de politique, ces moments tellement nourrissants de ton immense culture, de ta grande sensibilité et de ta hauteur de vue. Merci du fond du cœur.

Madame la sénatrice, chère Eliane, chers amis, chères collègues je vous remercie d’avoir bien voulu venir partager ce moment singulier ici, à La Maroquinerie, lieu qui résonne particulièrement en moi, avec mon parcours, mon histoire, temple des musiques électriques rompu aux subversions qu’elles charrient, orné en son entrée d’un autre symbole de la subversion, la faucille et le marteau qui nous racontent l’ancrage populaire de ces bâtiments qui accueillirent une immense coopérative ouvrière où l’on veillait autant au bien être matériel des habitants des quartiers populaires qu’à leur bien être culturel. C’est de cette ambition qu’est née l’idée d’éducation populaire : permettre au peuple d’acquérir les savoirs pour investir l’espace démocratique et y peser. La culture et plus précisément l’expression artistique sont au cœur de ce processus qui fait de nous des hommes et des femmes ouverts au monde et ayant prise sur lui.

Gérard Davoust a dit beaucoup de choses de moi, permettez que je n’y revienne pas, sinon pour dire que j’ai une pensée particulièrement vive pour mes chers parents qui auront tant compté pour moi qui ai eu la chance d’avoir des parents ouverts, tolérants et engagés dans la vie. Des parents communistes.

Je veux remercier Madame la ministre Nadia Hai, alors Ministre de la ville, qui a souhaité que je sois honoré aujourd’hui et m’a surtout encouragé à pousser plus avant les logiques culturelles et éducatives que nous avons développées pour les mettre en partage, dans le pays, avec des partenaires que nous sommes en train de rencontrer pour faire rayonner dans les quartiers populaires les méthodologies, les méthodes et les outils élaborés et éprouvés ici par Zebrock. Je me suis modestement efforcé d’en nourrir les propositions pour les prochains contrats de ville avancées par la commission nationale à laquelle j’ai eu l’honneur d’être associé.

Cette décoration est venue me cueillir de façon inattendue et effectivement méritée. Méritée pour le projet que je conduis depuis 32 ans : c’est pourquoi je souhaite la partager avec celles et ceux qui l’ont rendu possible, qui l’ont fait vivre, le portent aujourd’hui et lui sont fidèlement attachés. Et aussi pour celles et ceux qui en ont bénéficié, en sont aujourd’hui les bénéficiaires et en bénéficieront.Car Zebrock, fruit des politiques publiques de la culture, est finalement un bien commun et doit le rester. Je n’ai pas besoin de vous dire combien compte la musique, combien encourager sa pratique et son écoute est un objectif nécessaire, combien elle structure les individus, nous enrichit et nous ouvre des horizons infinis de connaissances fabuleuses, combien elle aiguise notre sensibilité et fait de nous des femmes et des hommes ouverts, tolérants, libres et épanouis.

Je veux en revanche insister sur l’importance de conjuguer ces convictions avec les combats de la démocratie culturelle, de l’élargissement toujours plus poussé du cercle des connaisseurs et des amateurs. Toutes les disciplines artistiques peuvent bien sûr y prétendre : mais la musique a pour elle sa grande familiarité, sa simplicité d’accès, son caractère éminemment populaire.Quels sont ces combats ?

Ce projet est né en Seine Saint-Denis, territoire marqué par les violentes conséquences des nombreuses inégalités qui le frappent. Mes collègues sont familiers de m’entendre me référer au fameux rapport parlementaire Cornu-Gentille qui il y a déjà 4 ans pointait sans fard que ce département et ses habitants sont particulièrement mal traités par la rupture de l’égalité républicaine systématiquement organisée dans des domaines aussi cruciaux que la santé, la sécurité et l’éducation, qui relèvent pourtant de la responsabilité d’Etat.

L’aventure de Zebrock n’a jamais quitté des yeux cette question du poids des inégalités : elle a fondé une sorte de responsabilité politique, car sociale et culturelle, que nous avons toujours assumée, en considérant que les leviers culturels et éducatifs de l’épanouissement personnel doivent à tout prix être actionnés, notamment là où le besoin en est le plus vif, dans ces quartiers populaires.Et dans ce domaine comme dans d’autres, rien ne tombe du ciel, rien ne coule de source. Il faut de bons outils, ceux que permet de façonner le service public de la culture.

Je veux d’ailleurs partager l’honneur qui m’est fait avec deux personnes qui me restent chères : Claudine Valentini, qui fut une remarquable directrice de la culture du Département de Seine Saint-Denis après avoir été chef du cabinet de son président historique, Georges Valbon et Claude Coulbaut, son complice, initiateur des logiques éducatives que Zebrock perpétue et renouvelle. Claude fût le secrétaire de l’association avant sa disparition brutale il y a 10 ans. Tous deux ont été, sous le mandat de plusieurs présidents du Conseil général de Seine Saint-Denis, notamment Hervé Bramy que je remercie d’être venu, des artisans convaincus et tenaces d’un service public de la culture levier indispensable d’une démocratie moderne, un service public qui s’emploie constamment à soutenir la création, en organiser la diffusion et impulser les transmissions des œuvres de l’esprit afin que le plaisir d’interroger la complexité des objets esthétiques, des formes artistiques, des langages poétiques et de s’en emparer soi-même soit à portée d’effort de chacune et chacun.

Je dis volontiers effort, car il n’y a pas de progression de soi qui ne commande d’effort, de travail.  La puissance, que nous regardons un peu effrayés, acquise par les systèmes numériques et les réseaux sociaux dans l’écosystème de la musique, nous invite à protéger, renouveler et étendre le service public de la culture dont je réaffirme que Zebrock est un versant original. Je parle d’un service public qui ne se perd pas dans les alibis du marketing territorial ou dans le fantasme esseulé de l’entreprenariat culturel qui semble devenir hélas le petit alpha et oméga de politiques publiques de la culture appelées à se cantonner dans le périmètre de tiers-lieux voués à la précarité des projets et de ceux qui y travaillent, à côté du tout puissant et carnassier marché des industries du divertissement. Non, je parle d’un service public garant de la diversité de la création, soucieux des publics et respectueux du travail et des conditions de travail des créateurs. Avec cette boussole, un peu à contre-courant, mais superbement accompagnés, nous empruntons chaque jour, un sentier assez passionnant où, à mi-chemin du monde de la culture qui ne veut pas trop s’embarrasser des enjeux éducatifs et de celui de l’éducation qui se crispe dès que la création pointe son nez, notre goût pour l’éducation, la création et la transmission fait des petits bonheurs.

J’évoquais ma contribution à la réflexion sur les nouveaux contrats de ville.Ces travaux m’ont permis d’approcher des questions cruciales de légitimité des pratiques culturelles et d’intimidation devant des formes jugées savantes par des acteurs de l’éducation, dont le rôle est à mes yeux primordial. Nous savons que le cheminement vers la culture, l’art et le savoir, vers les lieux qui les mettent à disposition, est complexe et souvent entravé.  Le poids des inégalités, sociales comme spatiales, éloigne et dissuade bien de nos concitoyens et concitoyennes de cet effort. Les injonctions à « ne pas » sont par ailleurs nombreuses : avoir souvent entendu « ce n’est pas pour toi » a intériorisé un « ce n’est pas pour moi » dont il est difficile de s’affranchir. Comment y tailler des brèches pour donner toute leur place à la diversité des langages artistiques et renouer avec une ambition de propagation des savoirs ? Comment ne pas retomber dans le vieux piège d’une autre injonction, celle du doigt magistral qui indique sans trembler où sont le beau, le bon et le bien, toisant de haut tout ce qui bruisse et s’agite hors des canons en vigueur. Comment entendre et voir, recueillir et être attentif à ce que les pratiques populaires ont fait naître de neuf, d’inédit et finalement d’universel et lui accorder les mêmes conditions d’expression et de représentation qu’à ce qui naquit en d’autres lieux, en d’autres temps avant d’être adoubé par les académismes de l’époque ? Mais aussi porter avec les artistes l’exigence ambitieuse du travail créatif, qui ne se confond pas toujours avec les marches de la réussite.Toutes ces problématiques habitent le projet de Zebrock.

Mon mérite modeste est je crois de ne pas en avoir dévié. Construit par des conceptions élevées de l’engagement culturel, acquises dans ma précieuse expérience de militant communiste, j’en ai nourri le projet que votre présence ici aujourd’hui honore, projet consacré à l’éloge de ces formes musicales étranges, disruptives, bizarres, bruyantes, bouillonnantes et brouillonnantes qui nous plaisent tant, chaque jour invitées dans ces murs. Chez, Zebrock nous avons appris à prendre très au sérieux des objets futiles et éphémères et de bien nous en amuser.Une dernière chose. Si nous apprécions tous combien la musique est une part importante de nos vies, nous savons combien elle compte particulièrement dans ces années passionnantes et fragiles de l’adolescence, quand tout est à conquérir et que l’on se drape des sons les plus divers, écrin intime des passions et des pulsions, pour affronter le tumulte de la vie. Les replis identitaires, religieux et communautaires qui menacent aujourd’hui notre démocratie et notre liberté mettent la musique en tête de leurs injonctions et autres bannissements. Ils sont porteurs de discorde et de haines, quand la musique rassemble. Huit ans après la tragédie du Bataclan, au lendemain d’un procès douloureusement historique, nous percevons mieux que c’est bien un lieu de musique, des musiciens et leur public que les terroristes voulaient détruire. J’en tire la conviction qu’agir concrètement au plus près des gens pour une vie musicale riche et diversifiée c’est contribuer aux nécessaires résistances qui s’engagent. Quand certains veulent les asservir à d’étroits calculs mercantiles et d’autres les interdire, il faut donner plus de place aux pratiques musicales et s’en donner les moyens. L’éducation à la musique s’affirme donc comme un enjeu majeur. L’expertise que nous avons construite dans le champ scolaire et périscolaire, l’adhésion enthousiaste de tant d’enseignants et d’artistes disent que Zebrock est un acteur efficace que le ministère de l’Education nationale et le ministère de la Culture devraient savoir mobiliser.

Zebrock a l’ambition d’être utile à ce combat. Nous lui préparons une belle voie d’avenir avec tous les partenaires du projet. Nous travaillons au renforcement des capacités budgétaires de l’association, au renforcement de l’équipe et entamons une réflexion de long cours sur de nouveaux locaux qui permettraient d’accueillir résidences, journées de travail scénique et formations.

Tu vois cher Gérard, ne manquent ni l’ambition, ni les projets auxquels je compte continuer de me consacrer.

Quelques remerciements pour conclure. Mes proches tout d’abord. Mes petits-enfants Marius et Madeleine, leur parents Corisande et Clément fils chéri qui aujourd’hui délie sa plume talentueuse dans les colonnes de la rubrique musique de l’Humanité, ce quotidien qui m’est qui cher. Leur grand-mère et mère de Clément, ma chère Eliane Assassi et son mari Hervé Bramy, qui fut un président du Conseil général attentif pour Zebrock. Ma sœur Jacqueline, mes chers fils, mes tigres adorés Lucien et Simon et leur chère maman, ma chérie Béatrice.

Tous vous m’avez permis de faire avancer ce projet.Evidemment le conseil d’administration de l’association et l’équipe remarquable qui fait avancer Zebrock chaque jour.Bien sûr les partenaires de Zebrock : le Conseil départemental de Seine Saint-Denis, la Région Ile de France, Est-Ensemble, les villes de Montreuil et Noisy-le-Sec, la Sacem, l’Agence nationale pour la cohésion des territoires et les villes et organismes qui nous sollicitent… Vous toutes et vous tous, visages connus mes chers camarades et chers amis avec lesquels je partage engagements et militances, qui de près-de loin, ont été et seront de l’histoire. Et je souhaite vous remercier toutes et tous de votre si chaleureuse présence.»

Edgard Garcia, Directeur de Zebrock.

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