Musiques actuelles en Seine Saint-Denis, le reflux.

C’est avec inquiétude que nous assistons à une lente mais certaine désagrégation du tissu des musiques actuelles de Seine Saint-Denis. La récente et brutale fermeture de Mains d’Œuvres n’est que le dernier épisode d’un mauvais feuilleton entamé depuis plusieurs saisons, dont le sous-titre pourrait être : sale période pour les musiques du quotidien. La première pratique culturelle des habitants du département, notamment des jeunes, à savoir l’écoute des musiques actuelles dans la variété de leurs formes et les pratiques musicales qui en découlent, redeviennent-elles les mal aimées de la culture ? Quand Zebrock voit le jour fin 1989, dans le cadre des politiques publiques de la culture soutenues par le Conseil général de Seine Saint-Denis et nourries de l’élan donné par Jack Lang, à l’époque Ministre de la culture, à ce qui allait devenir « les musiques actuelles », le paysage musical est assez clairsemé. Pour jouer ou répéter : le Caf’Omja à Aubervilliers, le studio John Lennon de La Courneuve, tous deux oubliés aujourd’hui et des studios privés (BMT, Concorde…) animés par des fans de musique, et des concerts organisés par quelques associations, dont Glubo à Epinay est la plus active avec son festival annuel, et des MJC – Marcel Cachin à Romainville, Jean-Roger Caussimon à Tremblay-en-France et d’Orgemont à Epinay. Au fil des ans – et Zebrock a sans doute participé de l’impulsion – le panorama s’est enrichi. Le Café La Pêche à Montreuil, La Cuisine au Blanc-Mesnil devenu le Deux-Pièces Cuisine, puis Canal 93 à Bobigny, Le Cap à Aulnay-sous-Bois, L’Odéon à Tremblay-en-France et Mains d’Œuvres à Saint-Ouen… La prise en compte de ces musiques soutenues par des associations et des groupes de rock ou des posses de rap agités a pénétré les politiques publiques de la culture et de la jeunesse au point que des Conseils municipaux s’en sont donné les moyens, en décidant de la construction d’équipements remarquables. Autour de ces équipements des équipes se sont formées, ont appris à travailler ensemble et sont devenues de véritables passeurs de culture et de savoirs musicaux. L’important travail de Zebrock dans les collèges et lycées a sûrement contribué à ouvrir un appétit musical assouvi par les salles et les structures qui ont organisé des milliers de concerts de groupes de tous horizons et encourageant des centaines de projets artistiques, contribuant ainsi au développement d’une scène musicale ouverte, dynamique et très diverse. En effet chaque programmation, chaque salle, chaque groupe s’inscrit dans une chaine qui tisse un beau réseau d’initiatives contribuant à la vitalité de la scène musicale de Seine Saint-Denis. Hélas, des vents contraires se sont mis à souffler. Des salles se sont détachées, quittant la scène départementale comme le Cap à Aulnay et le Deux-Pièces Cuisine qui tournent le dos au projet de SMAC (scène de musiques actuelles, label décerné par le Ministère de la culture et encadrant un dispositif professionnel dédié) qui les associait tandis que la musique n’est plus vraiment à la mode à Canal 93 et que Mains d’œuvres a fermé ses portes après une expulsion dont la brutalité nous a stupéfaits.
Ainsi, les acquis de trois décennies marquées par de beaux engagements, des constructions professionnelles et artistiques passionnées, mais aussi par des budgets publics conséquents sont-ils en train d’être réduits à néant ? Que deviennent les politiques de la culture qui prônent l’ouverture et affirment leur attention à la diversité des pratiques ? Comment apprécier cette situation quand il faut ouvrir les esprits, exciter la curiosité, combattre les enfermements et l’intolérance, ces poisons que la musique fait reculer-nous le savons tous ? Est-ce l’effet de la réduction des dépenses publiques qui sape les fondements de notre vie sociale et n’épargne rien, ni l’éducation, ni la culture ? Est-ce le retour d’une conception de la culture armée d’un ordre moral au regard peu amène sur ces musiques et leurs protagonistes, finalement trop « populaires » ? Est-ce le retour de l’idée que finalement le marché et ses marchandises scintillantes suffisent à satisfaire ce qu’à Zebrock nous nommons le désir de musique ? Sans doute un peu de tout cela à la fois, avec une once de démission de responsables politiques…
Dans ce paysage désolé et désolant, à Zebrock, nous sommes toujours sur le pont comme en témoigne le programme de la saison à venir. Certes nous commençons à nous sentir seuls, les points d’appui se dérobent alors que les tensions budgétaires fragilisent le projet (nous y reviendrons).
Mais nous restons bien convaincus de l’importance de nos projets en milieu scolaire et de la valeur des approches éducatives qui les sous-tendent, comme nous continuons de croire à l’intérêt pour les jeunes musiciens et musiciennes d’être soutenus pour accomplir leur envie et de l’importance enfin de nourrir et mobiliser des publics curieux et cultivés. Vous pouvez, vous aussi soutenir cet engagement en adhérant à notre association.