Soyons francs et directs : ce troisième album nous a emportés. Disque après disque, Mokaïesh a installé une voix, un propos et un certain goût de la provocation, un sens aigu du lyrisme, celui de la mélodie et une hauteur de vue élégante. Ce quatrième (hors le passionnant side project Naufragés, réalisé avec Giovanni Mirabassi) l’installe durablement, (définitivement ?) dans le cercle finalement assez peu fréquenté des chanteurs qui conjuguent un propos dense et exigeant à des formes musicales d’une grande richesse, ici principalement dues à Valentin Montu. La preuve par les cent et une nuances qui parent les onze titres de ce cd somptueux . La moitié de lui venue d’Arménie et restée à Beyrouth prend ici les rênes. Retour aux sources, à l’origine. Les compositions sous influence électro épousent avec grâce les rythmiques orientales qui les tapissent, quand soudain dans La vie est ailleurs un piano superbe s’envole, joué par Bachar Mar Kahlifé, brillant musicien fils de l’immense Marcel Kahlifé, voix majeure de la musique au Liban. On y croise plusieurs voix en arabe et en français : celle de la lumineuse Razane Jammal dans Au nom du père, celle, rugueuse, de la rappeuse Sòphia Moüssa sur La lueur qui sinuent dans l’entrelacs des arabesques que dessine le oudiste Ziyad Sahhab. Magnifiquement composé, chanté avec le lyrisme et la fougue qui sont la griffe de Cyril, cet album révèle des textes d’une rare puissance, et personnels. Observateur insatisfait de notre monde, Mokaïesh qui entretient un rapport amoureux à la poésie, exprime avec la plus grande sincérité, la plus belle émotion, ses colères, ses espoirs et désirs, l’amour déraisonnable mais enivrant de la vie et les nostalgies (Paris-Beyrouth ?) qui en découlent. Il y a des perles sur chaque titre de cet album hommage à ses origines familiales. Hommage au mouvement pour la liberté qui agite le monde arabe, hommage à la jeunesse, hommage à l’espoir. Présenté sur la scène d’un Trianon comble début mars, ses chansons accueillaient des voix amies, notamment celle si opportune de Arthur Teboul, le chanteur de Feu ! Chatterton. Et elles passent sacrément bien l’étape du live. Quand nous nous serons débarrassés du virus, entendre Mokaïesh sur scène sera une obligation.