Rien ne laissait supposer cette rencontre et pourtant, dès les premières mesures elle s’impose d’évidence. Récapitulons: Joseph Andras, écrivain inconnu, surgissant d’on ne sait où et raflant le prix Goncourt, qu’il refuse, avec un livre brûlant, De nos frères blessés, consacré à Fernand Yveton l’ouvrier militant de l’indépendance algérienne guillotiné quand Mitterrand, François, était ministre de la justice – bref, de l’Histoire, de la vraie – écrit un texte étourdissant, S’il ne restait qu’un chien, qui met dans la bouche du Havre, la ville, la terrible chronique d’une société, que dis-je, d’un monde, le nôtre, qui a tout assujéti à son appétit, hommes, d’abord, hommes surtout et qu’il nous faut bien nommer de son nom, le capitalisme – et celle des résistances souvent tragiques qui s’y sont opposées. Ce texte rencontre D’ de Kaball, pour lequel il a été écrit (voix et tempérament compris). Double « c’est du lourd » ! Et sacrément bien vu : le texte s’enroule autour de nous et les multiples dictions et variations vocales de D’ lui confèrent mille couleurs. On imagine que les prestations rugueuses du rappeur de Bobigny sur la scène Zebrock de la Fête de l’Humanité ne sont pas passées inaperçus d’un écrivain dans la foule… Récemment donné sur la scène de Canal 93, le concert tiré de ce livre-CD publié – rien moins que ça – chez Actes Sud, a bouleversé le public présent. Le tumulte des mots et des images, les sons et les rugissements des micros dynamite du Trio-Skyzo-Phony et la voix caverneuse de D’ de Kabal nous ont mis au visage le fracas de ce monde invivable dont l’origine est datée de 1492, tel que ressenti par Andras depuis le port du Havre, la bien nommée. C’est splendide.
Aux éditions Actes Sud